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ÉCHOS DU FESTIVAL DE CANNES 2024


Le samedi 25 mai, Greta Gerwig, présidente du Jury du 77e Festival de Cannes, a remis la Palme d’or à Anora, le nouveau long métrage de Sean Baker. Avant cela, festivalier·ère·s, accrédité·e·s et autres professionnel·le·s du cinéma ont exécuté la traditionnelle danse qui consiste à courir de salle en salle à travers la ville de la Côte d’Azur pour découvrir les films qui rythmeront l’année cinématographique à venir. Pour l’occasion, trois rédacteurs de Ciné-Feuilles étaient présents sur la Croisette afin de livrer un aperçu forcément incomplet de cette grand-messe du 7e art.

Affiche Cannes 2024.



Réaliser un compte-rendu du Festival de Cannes n’est pas une mince affaire. La multitude d’œuvres présentées dans les différentes sélections rend l’exercice particulièrement délicat. Loin d’être exhaustives, les lignes qui suivent se concentrent en grande partie sur les longs métrages de la Compétition, mais font également quelques incartades du côté des films découverts Hors compétition et dans les sections parallèles.



En Compétition


Ce 77e Festival de Cannes aura appartenu aux audacieux. En début d’événement, Francis Ford Coppola, sans doute le plus fou d’entre eux, dévoilait au monde son très attendu Megalopolis (USA). Le film instaura le ton de cette édition bizarre, sous acide. Un véritable déluge formel s’abat sur le spectateur dans cette histoire de nouvelle Rome décadente. On ne sait pas vraiment où donner de la tête face à ces surimpressions ivres, ces montages d’attraction qui rappellent le cinéma des premiers temps et cette esthétique outrancièrement kitsch, criarde, inconfortable. Alors: grande fresque opératique et expérimentale ou nanar indigeste? Sans doute un peu des deux. Nul besoin pour le moment d’avoir un verdict définitif sur cette matière filmique si abrasive.


Abrasive comme l’est la mécanique mise en place par Coralie Fargeat avec The Substance (Royaume-Uni/USA/France). Son montage vampirique et agressif est d’une précision diabolique dans ses effets et accomplit parfaitement son programme: poignarder le spectateur à chaque plan, l’emmener dans une spirale infernale et nauséeuse dont la porte de sortie ne peut être qu’une explosion finale grand-guignolesque et extrêmement drôle. Derrière son visage âpre et méchant, l’œuvre se révèle alors étrangement accueillante.


Plus accueillante que la nouvelle petite composition morbide concoctée par Yórgos Lánthimos, Kinds Of Kindness (USA/Royaume-Uni), qui est presque un métafilm de Lánthimos, tant le cinéaste grec semble se plaire à agiter ses pantins dans la maison de poupée (Lánthimos-Land) qu’il construit de film en film. La fixité de l’œuvre, articulée en trois récits distincts, en fait sa limite, bien que cet exercice de style formaliste s’avère tout de même d’une grande précision et virtuosité quant à sa facture (surtout dans les deux premières histoires).


Plus sage donc que ses collègues Coppola et Fargeat, Lánthimos annonçait à ce titre le long métrage de Sorrentino, Parthenope (Italie/France), qui nous a semblé une enfilade de toutes les postures clichées qui émaillent la filmographie du napolitain. Le film hybride un regard complètement aliénant sur son personnage principal féminin, Parthenope jouée par Celeste Dalla Porta, avec des dialogues pseudo-philosophiques gênants. Pompeux et creux.

The Substance de Coralie Fargeat.

The Substance de Coralie Fargeat. © Festival de Cannes


Une autre déception (euphémisme) aura été la nouvelle réalisation de David Cronenberg, Les Linceuls (The Shrouds, France/Canada). Le film avait pourtant de belles promesses: dresser un portrait de son auteur en évoquant notamment le deuil de sa femme. Sujet ô combien personnel et qui apparaît ici bizarrement dévitalisé! Cronenberg assèche complètement sa mise en scène et relie l’histoire du deuil avec un récit conspirationniste (on y parle d’agents doubles russes et chinois!) franchement mal tissé.


Ni du Canada ni de la Grèce, l’éclair viendra finalement du Portugal, dont l’un des plus brillants représentants filmiques, Miguel Gomes, nous offre avec son Grand Tour (Portugal/Italie/France) une œuvre magnifique. Jeu de piste amoureux dans l’Asie du Sud-Est au début du vingtième siècle, le film mélange des images documentaires avec des plans tournés en studio dans un immense geste formaliste et «poétique». Gomes questionne les modes de narration du cinéma contemporain pour en dévoiler à la fois la facticité et le pouvoir ensorcelant. D’une grande lenteur et d’une belle amplitude, ce film-univers offre toute la latitude au spectateur pour s’immerger en lui et voyager à travers les béances (les trous de verre) qu’il dispose.


Les premières larmes cannoises furent pour Andrea Arnold et son Bird (Royaume-Uni), étincelante poésie de l’apesanteur en perpétuel équilibre entre la violence terrienne d’une banlieue anglaise délabrée et le rêve de s’en échapper. La vie d’une famille décomposée, le ciel en contrepoint, avec, en son centre, Bird, personnage mystique interprété par le merveilleux Franz Rogowski. Un trait d’union ailé, ange gardien de la jeune Bailey (Nykiya Adams), héroïne parmi le chaos, qui, à 12 ans, est obligé de gérer les gamineries du père (Bug, joué par Barry Keoghan) et les absences de la mère. Dans cette constellation punk où la violence répond au désarroi d’un futur inexistant naît la chaleur et l’humanité, l’entraide et le don de soi. Dans la galère sonne le glas de la révolte du cœur, Bailey, Bug et son autre fils Hunter prêt à fuir en Écosse avec sa copine enceinte d’à peine 16 ans, tout est bordélique. Sans grand enjeu dramatique, une furie de vivre, de survivre, dans une déchirante poésie de l’espoir. Andrea Arnold est la grande absente du palmarès tant son film aurait eu sa place tout là-haut, à titiller ce ciel qu’elle ne cesse de regarder. Et Franz Rogowski qui confie ne pas avoir eu une seule ligne de texte pour préparer son rôle, au firmament de la grâce, aurait pu déposséder le balourd Jesse Plemons (Kinds Of Kindness) de son titre de Meilleur acteur.

Bird d'Andrea Arnold.

Bird d'Andrea Arnold. © Festival de Cannes


Que l’on aime les envolées lyriques de Serebrennikov, sa mise en scène opératique (La Femme de Tchaïkovski), la ferveur rock’n’roll de ses plans-séquences qui bousculent et agressent (Leto), la multiplicité des formes et des jeux de cadrage (La Fièvre de Petrov). Avec Limonov - The Ballad (Italie/France/Espagne), Kirill Serebrennikov a malheureusement mis le frein à main. Dans une retenue dommageable, il livre le portrait peu reluisant du crapuleux Eddie Limonov, dandy, poète, écrivain anarchiste qui s’est toujours planté de révolte (en faveur de l’invasion du Donbass notamment), petit être à l’égo surdimensionné, gamin en quête d’attention, personnage violent et persécuteur qui finira par passer quelques années au goulag, avant d’être relâché en héros pro-Poutine. Ben Wishaw est formidable avec sa tignasse très Jean-Michel Jarre des années 80’s et aurait lui aussi mérité un Prix d’interprétation. On se passionne surtout pour la première heure et l’arrivée de Limonov à New York plutôt que cette seconde moitié plus en longueur qui ronronne dans une forme convenue de biopic. Serebrennikov nous sert certes quelques friandises dont il a le secret (ce plan-séquence dans les rues de Manhattan), mais trop peu pour soulever nos cœurs, avides d’émotion.


La Palme cette année, décernée à un immense Sean Baker qui ne l’a certainement pas volé, est celle du panache, du virevoltant, du populaire, de la mixité des genres. Anora (USA), dit Ani, est une escort et strip-teaseuse dans un club à Brooklyn qui enchaîne les shows privés pour s’en sortir. Jusqu’à ce que son destin bascule, et qu’elle rencontre Ivan, un gamin de 20 ans, fils de milliardaire, qui tombe prétendument amoureux d’elle. 15’000 dollars la semaine, et voilà Ani débarquée par Ivan pour faire la fête à Vegas avec lui et sa bande. Baker nous arrose d’une mise en scène débordante d’excès, d’un montage épileptique, dans une première partie adolescente et furieuse. Puis, lorsque la fatigue se pointe, Baker nous retourne, et nous offre une scène déjà culte de plus de 30 minutes qui fait virer de bord Anora vers l’extraordinaire. Comique situationnelle déjantée, hilarante scène de faux kidnapping, malaise et embarras, la séquence semble interminable, mais l’on aimerait qu’elle ne cesse jamais. Surtout, elle réussit à installer avec ferveur et grandeur les personnages secondaires qui auront une place majeure dans la seconde partie du film. Ani et la bande de pseudo-tortionnaires s’embarquent dans une chasse à l’homme sous speed pour retrouver Ivan qui s’est enfui par peur de se confronter à l’arrivée de ses parents. Il y a ici une générosité à la limite du burlesque, une authenticité rayonnante de bravoure et de candeur à inventer, scène après scène, le rocambolesque et l’improbable dans chaque plan. Une furie ininterrompue qui va de nouveau nous prendre à contre-pied. Pris dans cette machinerie comique, Baker réussit un nouveau tour de force: faire naître une romance d’abord en second plan, avant de nous la faire exploser au visage en fin de film. Igor, interprété par le formidable Yuriy Borisov (déjà immense dans Compartiment n° 6), joue le caïd de service, ne pipe mot jusqu’au moment où la douceur du bleu de ses yeux vient le trahir. Voilà que l’on voit apparaître une admiration d’Igor pour Ani, puis de la bienveillance, de la tendresse… Jusqu’à ce que leurs corps au départ violents se rapprochent. Mais là encore, dans la douleur et le rejet, une fascination amoureuse antinomique. L’épilogue ne s’accointe pas de la mièvrerie, mais impose une puissance interrogatrice bouleversante. Une scène de sexe finale qui laisse toute sa place à l’interprétation. Il y a donc dans Anora la force motrice de toute grande œuvre, une générosité, un élan quasi cosmique, presque impalpable, innommable à soulever le cœur, retourner la tête. Un film d’une humanité débordante, qui ne lâche rien, et qui emporte tout.

Anora de Sean Baker.

Anora de Sean Baker. © Festival de Cannes


Paul Schrader, et ces épaules de vieux monstres bressoniens, débarque en Compétition avec Oh, Canada (USA). Un film plein d’aplomb à la maturité éclatante de précision dans une mise en scène à la fois classieuse, et poreuse. Un film qui réussit à déstructurer la chronologie, nous faire perdre pied dans un passé qui n’a pas vraiment de début ni de fin, une labyrinthique machination qui parfois nous dépasse, mais arrive à saisir l’essentiel. Le (dernier) souffle pré-mortem d’un homme en fin de vie (un documentariste de renom Leonard Fife, interprété par Richard Gere), sa rédemption (si chère au cinéma de Schrader) pour faire tomber le masque, déchirante délivrance expiatoire d’une vie de péchés, de mensonges, une vie menée par le désir de liberté plus que de celui d’aimer. Aimer justement n’a jamais été son fort, lui qui ne cesse de balancer des tranches de vérités fracassantes sur des histoires amoureuses passées au visage de sa femme meurtrie par des révélations qu’elle conteste, invoquant la sénilité du mourant. Il n’y aura que la mort qui réussira à le faire taire, une fois les fantômes oubliés nommés, les démons du temps passé domptés, pour qu’enfin, Leonard Fife puisse quitter ce bas monde absout du péché mortel du silence.


Seul premier film de la Compétition, Diamant brut (Agathe Riedinger, France) retrace le parcours de Liane, 19 ans, prête à tout pour devenir célèbre. Lorsqu’elle est contactée pour passer le casting de Miracle Island, une émission de télé-réalité en vogue, la jeune femme se voit déjà en haut de l’affiche… Par sa description et son constat de la pression sociale s’exerçant sur le plus jeune âge (mais en abordant une tout autre thématique), le long métrage rappelle How To Have Sex (présenté en 2023 dans la section Un certain regard). À l’instar du film de Molly Manning Walker, Diamant brut pèche par des personnages trop caricaturaux et une superficialité desservant le propos. Il n’en reste pas moins une première réalisation maitrisée qui incite à suivre le parcours de la cinéaste.


Un an après avoir présenté Firebrand, Karim Aïnouz était de retour en Compétition avec un nouveau long métrage intitulé Motel Destino (Brésil/France/Allemagne). Après l’Angleterre du roi Henri VIII, le réalisateur brésilien installe son récit dans son pays natal, et plus précisément dans l’Etat de Ceará. Alors que la chaleur est étouffante (plus de trente degrés tout au long de l’année), une ambiance suante et poisseuse s’instaure dans un motel miteux, lieu de débauche et de luxure. C’est dans ce contexte que l’arrivée d’Heraldo, un jeune bellâtre fugitif, va troubler le quotidien des tenanciers. Hélas, ce postulat de départ stimulant tombe rapidement dans une certaine monotonie et n’offre jamais les soi-disant «jeux de désir, de pouvoir et de violence» promis par le synopsis du film. La dernière partie du métrage, plus fougueuse, arrivera bien trop tard pour faire de Motel Destino une œuvre marquante.

Motel Destino de Karim Aïnouz.

Motel Destino de Karim Aïnouz. © Festival de Cannes


Également victime de sa promotion mensongère (vendu comme «une comédie romantique et musicale ultra violente»), L’Amour ouf (France) de Gilles Lellouche n’a en fait rien de musical, de comique ou d’ultra violent. Reste la romance. Celle entre Jackie et Clotaire qui traverse les âges. Si l’envie débordante de cinéma de Lellouche transpire par tous les pores de la réalisation, l’excès de mise en scène tapageuse tend bien vite à l’esbroufe. Trois heures aussi généreuses que maladroites, qui, même parsemées de moments forts (notamment grâce à une bande-son enivrante), ressemblent finalement plus à un film qui prévaut de la réussite de certaines de ses séquences que pour la cohérence de son ensemble.


Il y aura néanmoins eu une réelle comédie musicale en Compétition à Canne cette année… Dans celle-ci, Manitas, le chef d’un cartel mexicain, fait appel à Rita, une avocate désabusée, pour exaucer son souhait le plus grand: devenir la femme qu’il a toujours rêvé d’être. Tel est le synopsis complètement fou d’Emilia Pérez (France), le nouveau long métrage de Jacques Audiard. Ce numéro d’équilibriste périlleux réussit l’exploit de ne jamais tomber dans le pathos ou le grotesque. S’il a divisé la critique, le film a convaincu le Jury puisqu’il est reparti avec un prix d’ensemble pour ses interprètes féminines, ainsi que le Prix du Jury.


Le Festival de Cannes, c’est aussi la fatigue accumulée… Et pourtant, malgré un état de somnolence aggravé, rien ne put empêcher de percevoir la douceur et la beauté qui se dégagent de All We Imagine As Light (France/Inde/Pays-Bas/Luxembourg). Premier film indien sélectionné en Compétition depuis trente ans, cette réalisation de Payal Kapadia tisse le portrait de trois femmes travaillant à Bombay. Sa mise en scène simple et délicate, additionnée à son propos social et politique, a séduit le Jury qui lui a remis le Grand Prix. Une œuvre à (re)découvrir au plus vite.

All We Imagine As Light de Payal Kapadia.

All We Imagine As Light de Payal Kapadia. © Festival de Cannes


Alors que les dés semblaient jetés, un film est venu rebattre les cartes en toute fin de festival: Les Graines du figuier sauvage (The Seed Of The Sacred Fig, Allemagne/France/Iran) de Mohammad Rasoulof. Le cinéaste iranien qui a fui son pays pour échapper à la prison (pour avoir critiqué l’attitude des forces de l’ordre) était bel et bien sur la Croisette afin de présenter son dernier long métrage. Un film tout aussi fort et politique que son contexte. Alors que Téhéran est secoué par des manifestations étudiantes, Iman, un avocat récemment nommé juge d’instruction, est pris dans l’étau du gouvernement. Face à lui, sa femme et ses deux filles remettent en question ses agissements. Lorsque l’arme d’Iman disparaît, la suspicion règne et les liens familiaux sont bouleversés. Un film puissant et important récompensé d’un Prix spécial créé pour l’occasion, mais qui aurait pu (aurait dû?) sans aucun doute repartir avec la Palme d’or. Il a aussi obtenu le Prix du Jury œcuménique.



Hors compétition et sections parallèles


Hormis les films en Compétition, d’autres belles choses ont été vues dans les sections parallèles. Nous noterons, par exemple, le nouveau métrage de Jonás Trueba Septembre sans attendre (Volveréis / The Other Way Around, Espagne/France) présenté à la Quinzaine des cinéastes. Dans une veine proche de celle d’Hong Sang-soo, Trueba propose un mélodrame (le film raconte le projet d’un couple, en instance de séparation, d’organiser une fête pour leur rupture) d’une grande délicatesse et élégance formelle: on y trouve des plans assez larges, souvent longs, qui embrassent les situations dans leur ensemble.


La section Cannes Première, créée en 2021, accueille des œuvres qui ne trouvent pas leur place en Compétition. C’est du moins ainsi qu’elle est définie, même si tout un chacun sait qu’elle permet surtout de dérober quelques longs métrages supplémentaires aux grands festivals européens, Venise en tête de liste. Elle est surtout l’occasion de découvrir de grands films.


C’est parmi cette section que se trouvait l’un des plus beaux films de ce Cannes 2024. Avec Miséricorde (France/Espagne/Portugal), Alain Guiraudie crée en effet sa meilleure œuvre depuis L’Inconnu du lac. D’une grande sobriété dans sa mise en scène, le film lorgne vers le cinéma de Robert Bresson dans ce polar rural qui conjugue parfaitement la drôlerie avec la métaphysique. Narrant l’histoire d’un meurtre, Guiraudie a la bonté de ne jamais juger ses personnages, y compris le tueur, et propose une réflexion passionnante sur le Mal et le Pardon, notamment dans une scène de confession absolument délicieuse. Le film produit le miracle de rester léger et aérien malgré la lexicologie chrétienne qu’il charrie. D’ailleurs, le personnage du prêtre, génialissime, s’il est le plus profond, est aussi le plus drôle du film. Une merveille de cinéma.


«Où en êtes-vous, Leos Carax?», telle est la question que le musée Pompidou a posée à celui qui a réalisé Les Amants du Pont-Neuf et Annette. En guise de réponse, le cinéaste nous offre C’est pas moi (France), un moyen métrage expérimental et introspectif d’une quarantaine de minutes qui nous plonge dans un esprit joyeusement foutraque. Narré par Carax lui-même, les pensées s’enchaînent et parcourent les préoccupations de l’artiste, ses fascinations, son œuvre. Une expérience inédite et captivante, entre le réglage de compte et la déclaration d’amour.


Dans un tout autre registre, le réalisateur Nabil Ayouch a présenté Everybody Loves Touda (Maroc/France/Belgique/Danemark/Pays-Bas/Norvège). Un long métrage qui lie la passion d’une chanteuse traditionnelle marocaine au dégoût du regard (et bien souvent plus) des hommes qui se pose sur elle. Porté par une actrice somptueuse qui incarne une figure féminine marquée par un traumatisme, mais pour autant libre et puissante, le film, malgré un certain classicisme narratif, captive. Jusqu’à un dernier plan (et une ultime expression de l’interprète) qui touche au sublime.

Everybody Loves Touda de Nabil Ayouch.

Everybody Loves Touda de Nabil Ayouch. © Festival de Cannes


Habitué aux documentaires, c’est avec une œuvre de fiction que Rithy Panh s’est retrouvé sélectionné dans la section Cannes Première. Traitant du sujet de prédilection du cinéaste cambodgien, Rendez-vous avec Pol Pot (France/Cambodge/Taïwan/Qatar/Turquie) suit trois Français invités par les Khmers rouges dans le but d’obtenir un entretien avec le dictateur. Le résultat est une drôle d’expérience, parfois saisissante (les images d’archives qui s’intègrent au récit), parfois proche du téléfilm (certaines lignes de dialogues). Un contraste entre gravité et légèreté qui fait s’effondrer l’ensemble.


Enfin, était présenté à Cannes Classics l’ultime collage filmique de Jean-Luc Godard, Scénarios. Difficile de ne pas lâcher une petite larme devant ce court métrage qui semble être le dernier adieu de JLG. Malgré sa brièveté, le film regorge d’idées formelles. Le travail du son est encore une fois génial: Godard utilise des bruits d’une usine pour évoquer le caractère industriel du 7e art. Enfin, il y a toujours cet aspect ludique propre à son cinéma, lequel n’est pas du tout si excluant qu’on le croie. Exemple de cette dimension amusante, voire enfantine: dans un plan vibrant tourné la veille de sa mort, Godard dit une phrase absurde et rigolote: «L’univers est un doigt». Aucun intellectualisme dans cette citation qui semble tirée de chez Ionesco, juste un hommage aux insensés dont faisait partie Godard, et qui nous auront offert certaines des plus belles œuvres de ce Cannes mouture 2024.


Article rédigé par Marvin Ancian Pierig Leray et Tobias Sarrasin

paru le 5 juin 2024 dans le n°923 de Ciné-Feuilles.

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